Le lundi c’est macareux
La nature peut être cruelle parfois. D'un côté, on trouve le cygne, animal magnifique d'une blancheur immaculée, majestueux en vol et qui se pose comme une goutte de rosée sur une fleur délicate, de l'autre, le macareux, pataud volatile marin aux trop petites ailes, volant laborieusement, planant comme un brique et dont les atterrissages ne sont pas sans rappeler ceux de Flagada Jones. Comme si ses défauts conceptuels ne suffisaient pas, son allure clownesque et sa démarche malhabile en font la risée de ses petits camarades sternes et guillemots et son espèce survit difficilement, les oisillons ayant du mal à différencier un lampadaire de la mer. La nature s'acharne vraiment, à croire qu'il a vexé quelqu'un de très haut placé à la création ou alors il s'agit d'une œuvre du petit Toto, 5 ans, fils du patron.
Il n'a pas grand chose pour lui, certes, mais il est le symbole de l'Islande et fait le régal de ses habitants, encore que c'est plus intéressant pour nous que pour lui (1).
Même sans aller le voir en mer ou aux creux des falaises où il niche, on peut difficilement ignorer ce volatile. Logos, posters, peluches et souvenirs kitschissimes, son image est très exploitée, il faut dire que quand on a comme concurrents des moutons ou des morues, c'est pas bien dur. Le macareux, lundi en Islande et puffin en anglais, se décline donc à toutes les sauces et trône même sur la carte de certains restaurants. Fumé, grillé, accompagné d'une sauce aux myrtilles et au brennivin, cuisiné au lait (mjólkursoðinn lundi), ... il y en a pour tous les goûts mais pas pour toutes les bourses, la forte réglementation de la chasse en faisant une viande relativement rare et chère.
Deux touristes nous ont signalé le Hereford steikhús (steikhús => steak house, vous voyez bien l'islandais ce n'est pas si dur), restaurant à viande de Reykjavik qui en plus des classiques pièces de viande bovines, propose deux menus spéciaux, comprenez spécial touristes, un orienté baleine et l'autre macareux. Pour une (grosse) poignée de couronne islandaise (5900 ISK soit environ 38€), on a le droit à :
- une entrée de macareux fumé et son lit de salade, accompagné de vinaigre de framboise,
- en plat principal, filet de macareux grillé servi avec une sauce au malt, des légumes frits et une pomme de terre,
- et pour dessert un skyr, spécialité islandaise dont nous reparlerons prochainement.
Rien que l'entrée et son vinaigre de framboise donne le ton, les assiettes seront bien présentées mais avec seulement deux - trois bouts de bidoche perdus sur l’immensité blanche uniquement troublée de minces traits de sauce. Au moins ce menu permet de découvrir cette viande sous deux aspects même si on regrette que ce restaurant n'ait pas poussé l'idée jusqu'au bout en trouvant le moyen de faire participer ce volatile au dessert, comme ... je ne sais pas moi une pâtisserie utilisant des œufs de macareux ? Enfin c'est toujours mieux que le menu baleine qui n'a de cétacé que le plat.
L'entrée qui arrive est pile comme on peut l'imaginer, peu garnie mais esthétique. Elle est froide, je suppose que c'est fait exprès et n'a rien à voir avec le temps d'attente, fort bien comblé par du pain brioché à volonté accompagné de tapenade. Six morceaux foncés et rouges façon betterave se battent en duel. Ils semblent moins gras qu'un magret de canard, sans pour autant être sec. Pour une entrée en matière le résultat est plutôt mitigé. La viande est certes bonne, ni grasse ni sèche, avec une texture de poulet et se marie bien avec le vinaigre mais elle est trop salée et surtout il lui manque une identité propre. Le goût est assez quelconque, rappelant un peu la saucisse de Morteau par son côté fumé.
On reste sur sa faim mais heureusement la suite est plus convaincante : quatre morceaux de taille moyenne, assez de sauce, peu de petits légumes certes (deux champignons, deux morceaux de carotte, ...) mais une bonne grosse patate dans sa peau. La viande, bien rouge, est très maigre et tendre sans être fondante. J'aurais pu essayer de deviner le goût avant, je n'aurais jamais réussi. En tous points cette viande est surprenante, déjà elle ne ressemble à rien que je connaisse mais surtout le goût n'est pas uniforme.
Dans le même morceau, à à peine un centimètre d'écart, on passe d'un goût fort entre le cheval et le gibier (chevreuil en moins sec) avec un goût prononcé de foie en fin, à un inattendu goût de poisson, assez marqué pour déranger le pisciphobe que je suis (non non rassurez-vous je n'ai rien contre les piscines). Décidément ce volatile ne fait rien comme les autres.
Verdict :
Giraf
Entre sa technique de vol, sa démarche et son goût, on peut dire que cette petite bête fait tout pour se démarquer. On n'est pas près de l'oublier. Il mérite bien un jambon d'or pour son goût insolite et étrangement variable et puis parce qu'au final c'était bon et bien préparé, et que la version grillée éclipse totalement la petite déception de l'entrée.
Une question me taraude tout de même : si on élève un macareux en ne lui donnant à manger que des donuts, est-ce que sa viande en aura le goût ??
PS : Menu spécial macareux au Hereford steikhús à Reykjavik, 5900 ISK soit environ 38€.
1. J'ai envie de manger un cygne, est-ce mal ? Malheureusement, je ne suis pas assez proche du Prince William et de Kate pour pouvoir en déguster un et le comparer au macareux.
2. Photo par Jörg Hempel sous licence Creative Commons CC BY-SA 2.0 DE
[…] mais industriel et du coup moins authentique. Heureusement un "vrai" skyr constituait le dessert du menu spécial macareux du Hereford Steikhús récemment testé, ce qui a permis de bien comparer. Le skyr Herefordstyle est un skyr nature accompagné d'une boule […]