Mee !
L'Islande, le pays aux magnifiques paysages, aux journées quasi permanentes en été et aux pulls en laine très kitsch, possède une gastronomie traditionnelle aussi intéressante qu'imprononçable, dont beaucoup de produits à base de mouton, logique pour une île qui en possède deux fois plus que d'êtres humains :
- Skyr, une sorte de yaourt/fromage blanc.
- Hákarl, le très odorant requin faisandé qui a déjà croisé notre route et notre nez.
- Blóðmör : une sorte de boudin noir au sang de mouton,
- Súrsaðir hrútspungar, des testicules de mouton cuits dans leur jus et macérés dans le lait aigre.
- Selshreifar, des nageoires de phoque.
- Lundi, du macareux.
- Lifrarpylsa, la saucisse de foie de mouton.
- ...
- et le meilleur pour la fin : Svið, une simple demi tête de mouton bouillie (sans cervelle), un plat qui me faisait de l'œil avant même d'avoir mis les pieds en Islande.
Le Svið (prononcer své-th) est un plat impressionnant (ou dégoûtant au choix) habituellement dégusté à la Þorrablót, une fête se déroulant fin janvier et destinée à l'origine au dieu Thor. Elle y est servie avec certaines des joyeusetés précitées dans le copieux plat viking Þorramatur. En dehors de cette période, on peut se la préparer soi-même en achetant une soðin lambasvið, tête de mouton, trouvable en supermarché, une solution assez peu pratique en vacances, ou tenter de trouver un restaurant qui en propose à sa carte.
Mission quasi impossible, les islandais sont bien plus portés sur les burgers et les hot dogs que sur leur propre gastronomie, mais peut-on vraiment leur en vouloir ? A Reykjavík, on compte en tout et pour tout un seul restaurant qui ose proposer ce met singulier : le Fljótt og Gott situé au BSI (gare routière). Les pressés seront contents de pouvoir commander leur tête directement au drive-in et pour les moins courageux, ce petit restaurant à mi-chemin entre une cafétéria et un fast food offre aussi un choix varié d'autres plats comme ... ô surprise ... des hots dogs et des burgers. Comme c'est original !
La charmante serveuse avait vraiment l'air dégoûtée de ma commande, et a laissé la tâche de me servir à un de ses collègues beaucoup moins charmant. J'ai opté pour la tête chaude, qui me semblait plus digeste que la version froide. Le rude gaillard qui m'apporte mon assiette m'explique que je peux tout manger, y compris les yeux et la langue. C'est à peu près à ce moment que j'ai vraiment réalisé ce que j'allais devoir endurer mais je ne pouvais plus reculer. La voir en photo est une chose, mais la voir trôner dans son assiette est quand même vachement impressionnant et assez repoussant. Éloignez les enfants, les mamies et les personnes sensibles, pour de la viande bouillie les photos sont plutôt crues.
Ce repas s'apparente plus à une autopsie qu'à un calme dîner aux chandelles : il faut inciser et retirer la peau, trancher divers bouts gras et gluants ou morceaux de cartilages qui retiennent la viande, gratter les os pour retirer les tissus qui s'accrochent, et prélever les organes un à un : oreille, langue, œil, ... Encore que ça s’apparenterait plus à une lutte acharnée avec des morceaux qui volent dans tous les sens, avec un simple couteau de cantine à bout rond en guise de scalpel. Il m'a bien fallu une heure pour clore ce tête à tête.
La peau est un bon cache-misère qui rend la tête présentable et masque le fait que finalement il n'y a pas tant à manger, comme un papier cadeau autour d'une immonde paire de chaussettes tricotées main. Par contre elle est épaisse et retenue par des lambeaux de chair, c'est une vrai petite horreur à inciser et enlever. Son goût n'est vraiment pas fameux et sa texture est caoutchouteuse, je doute même qu'elle se mange. Une fois mon paquet ouvert j'ai attaqué dans l'ordre les joues : de la bonne viande, le haut du museau : de la viande grasse et des morceaux gluants, le palais sous le nez : gluant avec picots, assez peu agréable à mâcher, la viande au niveau du cou et sur l'arrière de la tête : correcte mais avec de gros morceaux gras, et l'oreille : un espèce de gros rond cartilagineux entouré de gras visqueux qui glisse sous la dent, avec ça et là des petits morceaux d'os. Pouah !
Sous la mâchoire on trouve la même viande que sur la joue, mais elle est difficile d'accès. Heureusement la pauvre bête ne sent plus rien et on peut lui démonter la mâchoire pour y accéder. Tout en mangeant ce visage, comme un simple cannibale de Miami, je ne pouvais m’empêcher de penser qu'une fois la vraie viande partie, il ne me resterait plus que les pires morceaux, disposés sur un crane assez bien nettoyé. Mais je n'avais pas fait plus de 2000km pour rien, il fallait que j'aille au bout et que je poursuive mon dépeçage.
L'intérieur du nez est absolument horrible : un morceaux sec avec une texture sableuse parsemé de nombreux croquants. L'arrière de la tête même sans cervelle recèle une étrange et mauvaise mousse rouge très salée. La fine pellicule sur les gencives est elle aussi à éviter : croustillante comme du bacon trop grillé mais avec un mauvais goût. Heureusement le calvaire touchait à sa fin. L'arrière du palais fut une bonne surprise, très tendre et fondant presque, avec un goût plus que correct.
J'avais gardé le plus spécial pour la fin, langue et œil, sur lesquels on pouvait encore voir quelques poils. La langue s'est avérée être un pur délice, un gros morceau fondant au très bon goût bien qu'un des côtés soit légèrement caoutchouteux. Le repas s'acheva sur une énucléation à la fourchette, une opération délicate en raison d'un nerf optique récalcitrant. Le tour avant de l’œil n'est que gras. Les côtés sont composés de viande correcte et de bouts gluants et l'arrière est assez dégoûtant à cause de la présence de tubes élastiques. Mais l’œil à proprement parler fut quant à lui une bonne surprise, ferme mais pas croquant avec un goût relativement agréable.
Devant les restes de ce repas homérique, on a un sentiment mitigé. On est fier d'en être venu à bout et aussi content d'en être débarrassé. On est plutôt satisfait de la vraie viande en général, même si elle est un poil grasse, ainsi que de la langue et l’œil. Mais on essaye de refouler le souvenir du goût et de la texture de certains morceaux, les parties gluantes et pur gras malheureusement vraiment trop nombreuses, ainsi que le nez et les gencives. Cette tête de mouton est un patchwork de textures plus que de saveurs, oscillants entre le divin (rare) et le plus haut degré de la répugnance, l'ensemble tendant malheureusement de ce côté.
Je regrette que Kephy n'ait pu goûter ce met insolite. J'ai bien pensé à lui rapporter une tête congelée trouvée au Duty Free de l'aéroport entre les bouteilles d'alcool et le chocolat mais elle n'aurait pas apprécié le voyage. Mon petit doigt me dit qu'il ne le regrette pas vraiment.
Verdict :
Giraf
Je suis content d'avoir pu manger ce svið. Si au final l'ensemble est assez repoussant, du fait des nombreux morceaux gluants et autres bouts de cartilages qui me hanteront à jamais, certains morceaux sont une vraie bonne découverte. Les yeux, la langue et l'arrière du palet ne m'apparaîtront désormais plus comme des déchets mais comme des morceaux de choix.
PS : Trouvable au Fljótt og Gott, situé au BSI à Reykjavík. 1650 ISK la tête, soit environ 10€.
PS² : Évitez à tout prix les deux sortes de purée qui l'accompagne (pomme de terre et navet)
Je confirme, j’ai une limite de tolérance moins élevée que Giraf, et je n’aurais pas été capable de manger ce plat… Rien que d’y penser… L’Islande propose d’autres facettes bien plus attrayantes que celle-là !
Ignoble !
J’aurais dû filmer tes réactions et les expressions sur ton visage lorsque tu dégustais ce met … :p
OMG.
Je crois que j’aurai quitté le resto en voyant ce plat ^^. Sinon ça m’étonne que tu ai trouvé la langue répugnante (car gardée pour la fin), car en France la langue de boeuf c’est plutot pas mal, ça ressemble plus à de la vraie viande que les étrangers rognons, cerveaux, etc..
Ha non pas du tout. J’ai dit que j’avais gardé la langue et l’œil pour la fin car ils sont spéciaux (je pensais plus à l’aspect en disant ça).
Je me doutais que la langue serait bonne car j’aime la langue de bœuf. Mais j’avais un doute sur la cuisson.
Elle s’est avérée très bonne, fondante et avec un goût fin.
J’ai oublié de parler des petits bouts d’os à certains endroits qui rendent la mastication périlleuse.
En tant que végétarien je me délecte en découvrant cet article.
Bon finalement pas de petit dej ce matin, j’espère que j’aurai oublié ces images d’ici le déjeuner
Les scénaristes des Simpsons auraient ils visité l’Islande ?
[…] de haggis (lifrarpylsa), pieds de moutons bouillis (sviðalappir), tête de mouton bouillie (svið), […]
[…] La tête de mouton bouillie (svið) est sans nul doute l'un des plats les plus impressionnants, surtout quand elle trône dans votre assiette. Elle est servie traditionnellement lors du mois Þorri (mi janvier à mi février), mais beaucoup de supermarchés en proposent toute l'année au rayon surgelé. Pour ceux qui aiment les détails les plus gluants et les photos d’énucléations à la fourchette, vous pouvez consulter notre test. […]
Trop forts, les Simpson ! Si tu ne le connais pas, il faut absolument que tu regardes le film « Jar City » de l’Islandais Baltasar Kormakur. C’est l’adaptation de « La Cité des Jarres », le polar best-seller d’Arnaldur Indridason. Dans une enquête très noire, on voit le commissaire Erlendur se réconforter chez lui d’une demi-tête de mouton bouillie achetée dans un drive-in… Comme toi, il ne laisse/lâche rien !